Le tout premier Tour de France féminin est organisé en 1984 dans une période où tout semble possible aux organisateurs. Ils ont su lever tous les obstacles logistiques et les barrages psychologiques pour rendre possible une course s’inscrivant dans le Tour de France. L’image de Marianne Martin sur le podium, aux côtés de Laurent Fignon, portant le même jaune de la victoire, est à ce point éloquente qu’on en oublie presque les différences de traitement entre les deux pelotons.
Marianne Martin remporte le premier Tour de France féminin, celui de 1984.
Le Tour de France féminin : précisions
Même si c’est son histoire qui nous intéresse, certaines précisions méritent d’être données pour situer sa performance dans le contexte plus global du “Tour de France”.
Une organisation de la société du Tour
Le Tour de France Féminin n’a réellement existé que de 1984 à 1989, en « lever de rideau » (sic) du Tour de France masculin. Les étapes se déroulent en même temps que celles des hommes. Les distances sont plus courtes et les arrivées décalées.
De 1989 à 1993, la Société du Tour de France organise un Tour de la CEE féminin.
En 1992, un Tour cycliste féminin est organisé une autre date que celui des hommes. Il change de nom en 1998 pour devenir la Grande Boucle Féminine. L’organisateur du Tour féminin ne peut employer le terme “Tour” qui est la propriété de la société du Tour de France
Sources, l’excellent site internet « Mémoire du cyclisme » qui compile des informations précieuses sur les femmes cyclistes.
Le Tour de France féminin de 1984
Pour la première édition du Tour de France féminin, 36 femmes de 4 nationalités s’élancent pour un parcours de 1067 kilomètres en 18 étapes de 50 à 80 km chacune. Le Tour comporte un contre-la-montre de 23 km.
Elles seront 35 classées après avoir parcouru la distance à 36 km/h de moyenne.
Marianne Martin remporte le classement général avec 3 minutes et 17 secondes d’avance sur la seconde, Hélène Hage, une Néerlandaise. Une victoire acquise, principalement, lors des étapes de montagne.
Et c’est ainsi, que le 22 juillet 1984, Marianne Martin monte sur le podium, aux côtés de Laurent Fignon, rayonnants tous les deux devant la foule et les médias du monde entier. L’image est puissante, une femme et un homme côte à côte, tous deux en jaune, tous deux vainqueurs du Tour de France.
Marianne Martin
Marianne Martin est la première américaine à gagner un Tour de France. Avant Greg Lemond.
Des méthodes novatrices
Elle était cavalière avant de se mettre au vélo, à la suite d’une chute. Elle met quelques années avant de devenir une cycliste de haut niveau. Non seulement elle apprend à pédaler mais elle s’intéresse aux méthodes lui permettant d’optimiser la performance. Elle intègre la préparation mentale dans les dispositifs d’entraînement et réfléchit aux moyens pour améliorer la récupération.
Un mental d’acier
En 1984, elle intègre l’équipe nationale Américaine qui va participer au premier Tour de France Féminin. Pourtant n’étant pas leader de l’équipe ni favorite de l’épreuve, elle reste, toutefois, sûre d’elle, armée mentalement et bonne grimpeuse. Elle confie, d’ailleurs, à l’entraîneur de l’équipe : “Croyez-moi, vous ne serez pas déçu. »
Le déroulement de la course
Ces femmes cyclistes ont suivi le même parcours que les hommes. 18 étapes, mais les premières parties du parcours ont été conçues pour raccourcir la distance. Les étapes du Tour de France Féminin se terminaient chaque jour deux heures avant les hommes et profitaient donc de la même foule. Marianne Martin se souvient que les organisateurs de la course avaient à cœur de retirer le plus rapidement possible le peloton féminin de la zone d’arrivée. Il y avait peu d’interaction avec les hommes. On peut supposer qu’il était question de logistique.
Des victoires en montagne
Dès les premières étapes, l’équipe Néerlandaise domine. Heleen «Keetie» Hage devient leader de la course. Mais au fur et à mesure, les capacités de récupération de Martin et ses prouesses de grimpeuses deviennent déterminantes. Elle prend le maillot jaune à l’étape 14, et son avance est finalement décisive.
Marianne Martin remporte le classement général, celui de meilleur grimpeur. L’équipe Américaine gagne le classement général par équipe et Deborah Shumway rejoint Marianne Martin sur le podium, troisième.
Et le Tour de France féminin
Quant à lui, le Tour de France Féminin continue sur le même format jusqu’en 1989. Ensuite, il change de nom, de format, d’organisateurs pour ne plus être grand chose aujourd’hui.
C’était il y a 34 ans
Ce qui ne cesse de nous étonner, c’est que 34 ans auparavant, ce Tour de France ait pu avoir lieu. Les moyens de communication étaient moins développés qu’aujourd’hui et par voie de conséquence, la couverture médiatique était moindre aussi, sans le rôle que les réseaux sociaux peuvent jouer aujourd’hui pour palier aux insuffisances des médias traditionnels.
Que s’est-il passé en 1984, pour qu’un Tour de France Féminin ait pu avoir lieu ? Pour trouver la réponse, il est nécessaire de croiser un certain nombre de facteurs à la fois conjoncturels, économiques et sociaux.
De nouvelles idées pour le Tour de France
Il faut bien avouer qu’à la fin des années 70, le Tour de France sort d’une période difficile. L’intérêt économique diminue. Par exemple, en 1974, il n’y a plus que 4 équipes professionnelles qui participent. Le public est moins nombreux au bord des routes.
Au début des années 80, ses organisateurs commencent à peine à instaurer les recettes qui font son succès aujourd’hui : arrivée dans les stations de montagne, passage au cœur de la France, lien avec le terroir, utilisation de la télévision pour susciter l’intérêt, début de l’extension mondialisée (équipes et téléspectateurs)
Des changements dans la direction
En 1981, Félix Lévitan, directeur de la Société du Tour de France, s’assure les services du Colonel Richard Marillier. Ancien militaire, il a le sens de l’organisation mais aussi, il est très impliqué dans le fonctionnement de la Fédération Française de Cyclisme. Il fût de nombreuses années sélectionneur de l’équipe de France, de 1970 à 1981. Il a encadré les hommes qui ont fait les belles heures du cyclisme français. Cyrille Guimard, 3e du championnat du monde, Régis Ovion, champion du monde amateur, Raymond Poulidor et Mariano Martinez 2e et 3e du championnat du monde 1974, Bernard Hinault, champion du monde en 1980.
Le potentiel du cyclisme féminin
C’est aussi sous sa direction que Geneviève Gambillon (1972 et 1974) et Josiane Bost (1977) sont championnes du Monde sur route. En 1978, il voit naître la championne Jeannie Longo qui devient vice-championne du monde en 1981.
Élément de conjoncture également, une épreuve de cyclisme sur route est ouverte aux femmes, pour la première fois, aux Jeux Olympiques de 1984 à Los Angeles.
Des éléments de contexte
Un homme qui connaît bien le cyclisme, une épreuve qui doit évoluer, des échéances olympiques imminentes sont autant d’éléments qui vont concourir à la création du Tour de France en 1984.
Le contexte politique y est, sûrement, pour quelque chose. En 1974, Valéry Giscard d’Estaing crée le tout premier secrétariat d’Etat à la condition féminine. Condition féminine n’est pas très heureux mais il résume, déjà, correctement, la situation des femmes à cette époque. En 1986, Laurent Fabius attribue à Yvette Roudy un ministère de plein exercice. Tout cela pour montrer qu’il y a une prise de conscience de la situation inégalitaire de la condition de la femme.
La condition de la femme cycliste
Ainsi, en 1984, Marianne Martin monte sur le podium sur les champs Elysées aux côtés de Laurent Fignon, Greg Lemond, Bernard Hinault et Robert Millar.
Précarité
Ce peloton féminin a parcouru 18 étapes, passé la même ligne d’arrivée, reçu les encouragements des spectateurs, coincé entre le montage sur la ligne d’arrivée du podium et la caravane publicitaire. Les conditions de vie de ces cyclistes étaient précaires. Marianne Martin avoue qu’elle a gagné 1 000 dollars de son aventure en jaune qu’il a fallu partager entre les membres de l’équipe. Elle a payé son vol pour se rendre à Paris et financé tout son équipement.
Un désintérêt progressif
La course, elle, s’est progressivement éteinte, prise en étau entre des considérations logistiques et économiques.
Il est vrai que le Tour de France est devenu une gigantesque machine économique parfaitement rodée. Elle ne laisse plus aucune place à l’improvisation.
Ce qu’en pense Christian Prudhomme
C’est ce que dit, tout au moins, Christian Prudhomme, le directeur du Tour de France, lors d’une interview sur la radio Europe 1, le 30 juin 2019.
« Le Tour, ce sont 29.000 policiers, gendarmes et pompiers. Pensez-vous que nous puissions avoir un seul policier ou pompier supplémentaire pendant le mois de juillet ? »
“[…] Vous vous rendez compte de ce que c’est ? Il y a deux hélicoptères télé, deux hélicoptères relais, un avion relais, les sept motos images, les deux motos sons. Tout ça en double ? ».
Avoir de l’audace
Et pour l’instant, ce Tour de France Féminin reste dans l’imaginaire des uns et des autres. Marianne Martin a eu la chance d’y participer est d’être la première à le remporter.
Le monde change. Il laisse moins la place à l’improvisation, à la mise en oeuvre de projets audacieux, pour ne pas dire un peu fou. C’était dans les années 80.
Marianne Martin est, quant à elle, rentrée au pays, sa victoire éclipsée par la jeux Olympiques de Los Angeles et la victoire de l’Américaine Connie Carpenter. Ce tour de France fût le point culminant de sa carrière. Elle dirige aujourd’hui une entreprise de photographie. Elle ne roule plus à vélo. Elle garde un excellent souvenir de cette époque.
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