La préparation physique du cycliste est une question complexe. Une forme d’ambivalence. Nous avons l’impression d’en faire assez tout en ayant le sentiment que ça ne suffit pas. Et pour cause, déjà, il n’est pas évident de trouver le temps de rouler à vélo de 5 à 10 heures par semaine. Mais la qualité de ces heures de selle pourrait s’améliorer en glissant dans le programme des activités complémentaires.
Un des points communs à ces trois champions, mathieu Van Der Poels, Julian Alaphilippe et Wout Van Aerts, est leur capacité à produire un effort bref, surpuissant et à le maintenir sur un temps long sans se désunir. En somme, la capacité à transmettre au vélo une vitesse de déplacement qui les rend irrésistibles sur des terrains variés.
Un second point commun, leur pratique d’origine : le cyclo-cross, terrain sur lequel le Belge et le Néerlandais cumulent 5 titres de champion du monde. C’est peu de le dire.
L’explosivité n’explique pas tout. Certes, physiologiquement, le métabolisme anaérobie lactique doit être développé. Pourtant cela n’est pas suffisant. Le corps du cycliste doit être capable de produire cette incroyable puissance par le mouvement de pédalage mais aussi de pouvoir la transmettre au déplacement du vélo.
[Lire l’article “4 bonnes raisons pour entraîner l’explosivité“]
La préparation physique du cycliste
Pointe alors l’idée que la préparation physique est essentielle pour préparer le corps du cycliste à supporter des décharges de puissance soit sur la durée, soit en intensité.
Le cyclisme, un sport chronophage
Il ne faut pas se le cacher, le temps est essentiel pour un sportif. Il est difficile de combiner l’entraînement du cycliste à d’autres activités complémentaires. Il faut donc faire des choix et aller à l’essentiel.
Le projet semble simple au départ, “proposer un modèle de préparation physique pour le cycliste”. Pourtant, au fil des recherches, nous nous sommes embarqués dans une magnifique aventure pour comprendre plus finement, plus spécifiquement le corps du cycliste qui pédale.
La force de l’habitude
Olivier Pauly est préparateur physique. Il a la charge de sportifs de haut-niveau. Il intervient à l’INSEP dans l’équipe des formateurs au diplôme des préparateurs physiques. Sa réflexion est la suivante : il regrette que la préparation physique des sportifs ne prenne pas, suffisamment en compte l’analyse de l’activité à réaliser avant de proposer des activités complémentaires.
(“Posture et Gainage – santé et performance, éditions De Boeck supérieur”)
Et c’est vrai ! De nombreux exercices complémentaires réalisés par les cyclistes semblent inutiles. Trop souvent, on vient plaquer des exercices dans un programme, plus par habitude que parce qu’ils sont utiles. Le principe dominant est “de celui qui peut le plus, peut le moins”.
L’exemple du gainage
L’exemple parfait, c’est le gainage. On l’associe, immédiatement, à une pratique de renforcement musculaire, le gainage consiste trop souvent et de manière systématique, à la pratique des abdominaux et des exercices de dos réalisés sous des formes statiques (maintien isométrique) dans des positions classiques. Et c’est vrai qu’il est surprenant de constater que ces positions immobiles tenues le plus longtemps possible servent de critère pour évaluer les sportifs alors même que les activités qu’ils réalisent ne comportent jamais de postures immobiles.
Définir la préparation physique
Michel PRADET intervient aussi à l’INSEP. Il donne une définition de la préparation physique qui est la suivante “[…] l’ensemble organisé et hiérarchisé des procédures d’entraînement qui visent au développement et à l’utilisation des qualités physiques du sportif. Elle doit apparaître de façon permanente aux différents niveaux de l’entraînement sportif et se mettre au service des aspects technico-tactiques prioritaires de l’activité pratiquée.” (la préparation physique, collection entraînement, éditions de l’INSEP 1996)
Cette idée que la préparation physique doit être au service de l’activité pratiquée revient systématiquement. Que ce qu’on propose serve strictement à accompagner la pratique du vélo, à la soutenir, à l’améliorer.
Comprendre le cycliste sur son vélo
C’est pourquoi, nous avons tenté de comprendre ce qui, dans la pratique du vélo de route, voire du VTT, avait de spécifique pour mériter une préparation physique.
Une priorité : tenir debout ou plutôt assis.
Et ce n’est pas une mince affaire que de maintenir le vélo droit. Les genoux des enfants s’en souviennent.
Le cycliste expérimenté ne s’en souvient plus. Pourtant, tout au long d’une sortie, le cycliste et sa machine sont soumis à un ensemble de phénomènes simultanés (la gravité, l’inertie, la force centrifuge, les forces aérodynamiques, le louvoiement, le guidonnage). Et, pour y faire face, le cycliste ajuste la position du vélo par le mouvement des mains sur le guidon et par l’action de son corps sur le cadre.
Tous ces gestes, le cycliste n’en a plus conscience. Ils sont automatisés. L’Homme dispose d’une forme de mécanique posturale qui agit de manière autonome pour réguler les tensions musculaires lui permettant de stabiliser ses postures.
Ces mécanismes sont extraordinaires quand on y pense. Ils agissent automatiquement sans que le cerveau n’ait à intervenir pour venir corriger postures, gestes et assurer la mobilité, le mouvement de l’individu, le tout en sécurité.
Ces boucles de régulation posturales sont locales lorsque les gestes sont automatisés (boucles gamma) ou font intervenir le cerveau pour des boucles plus complexes quand les gestes sont plus techniques. Ce sont les muscles posturaux qui assurent ces mécanismes : un ensemble de muscles courts, au contact de l’architecture osseuse qui viennent à la fois stabiliser les articulations et contrôler les micro mouvements.
Le défi de la tonicité
A ce moment de la réflexion, nous sommes en droit de penser qu’avant d’être un cycliste puissant, il doit apprendre à tenir debout sur sa machine efficacement. Et c’est seulement à partir d’une position stabilisée qu’il pourra appliquer toutes les forces utiles au déplacement.
En somme, l’avenir d’un cycliste, sa performance ne repose que sur quelques muscles, la plupart inconnus du sportif. On parle, ici, des muscles érecteurs du rachis (multifides, longissimus…)
Des muscles qui disposent d’une intelligence propre et d’une grande réactivité stabilisent la position du cycliste afin qu’il puisse pédaler correctement, selon les besoins de sa pratique.
A ce moment là de la réflexion, on peut retenir les points suivants
- Pour maintenir sa position, le cycliste multiplie des petits gestes d’ajustement posturaux.
- Ces gestes, la plupart du temps des micro-mouvements, sont automatiques
- Des muscles posturaux sont indispensables à l’efficacité du cycliste.
Il n’en reste pas moins que le maintien de cette posture est un sacré challenge. Non seulement, il faut la tenir longtemps mais en plus elle est inconfortable.
La position en antéflexion
Le tronc est penché en avant dans une position dite en « antéflexion ». Même si cette position est compensée par un appui conséquent des mains sur le guidon, on peut néanmoins affirmer que la persistance d’une flexion du tronc en avant induit une fatigabilité musculaire qui peut diminuer la capacité de régulation posturale.
Les muscles spinaux érecteurs assurent principalement le maintien et les légers mouvements d’inclinaison latérale. La paroi abdominale est mise à contribution pour accompagner ces mouvements.
La respiration organise, en quelque sorte, les efforts de maintien de la posture. Rôle du diaphragme et du transverse pour réguler les débits. Une régulation qui a des effets sur le maintien de la posture.
Le muscle ilio-psoas
Il a une position centrale au niveau de la ceinture pelvienne : il articule les membres inférieurs à la colonne vertébrale notamment, par l’intermédiaire du psoas. Ce faisceau, précisément, vient s’insérer sur les corps vertébraux et intervertébraux.
Ses fonctions sont nombreuses. Son activité est difficile à décrire car il intervient à la fois dans le mouvement général de pédalage mais aussi dans le maintien de la ceinture pelvienne.
- Bien que son action soit brève dans le cycle de pédalage, sa contraction est puissante pour accompagner le passage de la pédale au niveau du point mort haut. Il participe, ensuite, à la conduite générale du mouvement. Les effets de sa contraction sont, sans cesse, corrigés par un ensemble de muscles posturaux (pyramidal, obturateurs interne et externe).
- C’est aussi le cas, dans le maintien du bassin assis sur la selle. Une multitude de contractions contradictoires affecte la position du bassin en appui sur la selle. L’ilio-psoas, les muscles fessiers et le grand droit de l’abdomen combinent leur action pour maintenir le bassin dans son meilleur équilibre.
Le psoas, un muscle postural ?
Même s’il est bien réel, le rôle statique du psoas est méconnu en dehors du milieu de la rééducation. Il est décrit sous le terme de “poutre composite” : le rôle du psoas est d’accroître la résistance de l’ensemble grâce à un placage intime du muscle sur l’os. Une sorte de manchon de protection intelligent puisqu’il ajuste automatiquement sa tonicité à partir d’informations proprioceptives d’étirement. Certains auteurs utilisent le terme de “verrouillage vigilant” de la colonne lombaire. Le psoas agit en synergie avec les muscles spinaux profonds, le diaphragme, le transverse et le plancher pelvien pour conserver la colonne dans sa courbure naturelle.
Les pièges anatomiques
Enfin, il est malgré tout important de rappeler que la pratique du vélo est un sport contraignant pour l’organisme. Il faut imaginer le corps en mouvement, soumis aux contraintes de l’activité. Les muscles congestionnés par l’intensité de l’effort actionnent les articulations. Dans ces zones en mouvement, sous contraintes, nerfs et artères peuvent être piégés, pincés, comprimés. La position, assis, le tronc en antéflexion, accentue ces phénomènes. En effet, c’est dans ces régions que se situent des carrefours importants de distribution des nerfs, artères qui vont alimenter les zones lombaires et les membres inférieurs.
[Les raisons de l’engourdissement des pieds]
Donner du sens au mouvement
Au point où nous en sommes, il est possible d’affirmer que la performance du cycliste dépend principalement de l’intelligence des chaînes musculaires et de leur réactivité et donc d’une bonne préparation physique du cycliste.
Le contrôle de la posture
La maîtrise de la posture sur le vélo est un préalable à l’efficacité du geste du cycliste. A partir d’une position stable et suffisamment mobile, le cycliste peut appliquer précisément les forces utiles à la puissance du mouvement. Ce geste juste, parfaitement coordonné est facteur déterminant pour économiser l’énergie tout au long des heures de selle.
Quatre facteurs y contribuent pour la préparation physique du cycliste.
- Une posture correcte,
- la mise en oeuvre des bons schémas neuromusculaires,
- le contrôle automatisé du geste,
- la coordination des actions de mobilité
Des axes de travail pour un programme
- S’assurer que la position sur le vélo est correcte
- Rouler beaucoup à vélo en multipliant les expériences et les variant : rouler en peloton, descendre, monter, rouler sur des routes au profil instable (gravel, cyclo-cross, VTT…)
- Suivre un programme de stabilité/mobilité.
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