Depuis longtemps on l’attendait. Le Tour de France femmes naît, renaît… On ne sait plus tant il s’est passé de choses autour de cet événement. Apparu en 1984 ; disparu en 1989. Il laisse un souvenir amer. On se rend compte à ce moment-là qu’il est difficile d’organiser en même temps deux événements, dont l’un a une puissance médiatique telle qu’elle écrase forcément l’autre.
Le Tour de France est devenu un événement aussi spectaculaire parce qu’il a trouvé une juste recette permettant aux coureurs, aux équipes, au public, aux annonceurs et à l’organisateur d’en tirer un bénéfice. Et, pour que le Tour de France femmes fonctionne, c’est ce juste équilibre qu’il faut trouver.
On pourrait énoncer les dates saillantes qui marquent l’organisation du Tour de France Féminin voire les grands moments. On pourrait montrer aussi que la difficile émergence d’un TDF Féminin en 2022 s’explique par la nature même de l’événement Tour de France.
L’idée centrale est la suivante : le Tour est un spectacle sportif à visée commerciale. C’est à partir de cette pensée que Jean-François Mignot développe son argumentation dans son ouvrage L’histoire du Tour de France (éditions La découverte, Paris, 2014) “[…] le Tour est une entreprise à but lucratif, le présent ouvrage montre que le Tour évolue au gré des opportunités économiques qui s’offrent à lui, et que c’est largement cet environnement économique qui explique ses évolutions majeures.”
C’est dans ces conditions qu’il est possible de comprendre l’organisation du Tour de France Femmes 2022. Selon cette idée, on verra que ce Tour ne fait pas son retour mais qu’il s’agit d’une tout autre épreuve conçue principalement pour en faire un spectacle. D’utiliser les ressorts qui ont fait du tour l’évènement qu’il est pour le transférer au TDF femmes.
Le tour de France femmes 2022
Le Tour d’avant se déroulait en même temps que le Tour de France. Un nombre d’étapes plus réduit mais les femmes roulaient sur le même parcours que les hommes, sur des portions d’étapes réduites elles aussi. En lever de rideau en somme. Elles passaient la même ligne d’arrivée et puis, il fallait qu’elles partent assez vite pour laisser la place au peloton des hommes.
Ce Tour de France femmes 2022 n’appartient qu’au peloton féminin. 8 étapes inédites comme le prévoit le règlement de l’Union Cycliste Internationale (UCI) (article 2.6.007 Titre 2 – épreuves sur route) et une moyenne de 130 km pour les étapes. >
Et comme un tour de France qui se respecte, le spectacle et le spectaculaire sont au rendez-vous.
Une première étape à Paris, de quoi rendre un bel hommage à cet événement, départ et arrivée sur les Champs-Elysées pour ensuite s’élancer vers l’est à travers le vignoble champenois.
La troisième étape, avec ses jolis raidars, pourrait déjà marquer la hiérarchie du classement général.
La 4ème étape sera bien poussiéreuse, empruntant les chemins blancs à travers les vignobles. Du gravier et des bosses qui risquent de marquer à la fois les corps mais aussi le classement général. La septième étape se déroule sur un parcours montagneux avec une belle trilogie et une arrivée au Markstein. Et si la hiérarchie n’est pas tout à fait établie, la huitième étape devrait offrir un final bouleversant avec une arrivée au sommet de La super Planche des Belles Filles.
Tous les ingrédients sont réunis pour offrir un Tour de France féminin digne de l’événement.
1908, Marie Marvingt : un Tour de France parmi les hommes
Il est vrai que les relations entre le peloton féminin et le Tour de France n’ont jamais été simples.
Ce n’est pas Marie Marvingt qui dirait le contraire. Née en 1875, c’est avec son père qu’elle pratique de nombreuses activités sportives. Bien que surnommée “la fiancée du danger”, tout ce qu’elle réalise c’est parce qu’elle sait qu’elle peut le faire. Sans limite, elle se fait connaître avant la Première Guerre mondiale par ses multiples exploits dans des disciplines sportives plus ou moins à risque, comme l’alpinisme, le cyclisme, le tir sportif, la natation et de nombreux autres sports, notamment d’hiver.
Quand en 1908, elle décide de participer au Tour de France, elle reçoit un refus de l’organisateur. En effet, la pratique féminine est victime d’un procès en légitimité, jugée inélégante, dangereuse pour la fertilité voire immorale par certains. Alors quand il s’agit de prétendre se mesurer aux hommes…
Marie Marvingt n’a rien à prouver, elle veut simplement participer. Ainsi, elle décide de partir quelques minutes après les hommes. Elle boucle les 4488 km du tour comme 36 autres participants sur 114.
1955, un mini Tour de France femmes pour secouer les consciences
En 1955, Jean Leulliot, propriétaire du journal “Route et piste” lance un Tour de France féminin en 5 étapes. Ce moment est important car il permet de mettre en lumière la présence d’un peloton féminin jusqu’à présent ignoré par les instances fédérales. D’ailleurs, depuis 1950, la FFC peine à structurer la pratique féminine, une vague commission et puis un “bureau des féminines” ont des difficultés à cacher le fait que la fédération a délaissé les femmes.
En 1955, 41 femmes sont au départ d’un tour qui n’en est pas vraiment un : 5 étapes de 50 à 70 km. Mais, on vient de toute l’Europe pour y participer. La presse n’est pas tendre avec ces cyclistes et les photographes sont avides de surprendre les jeunes femmes dans les dortoirs.
Même s’il n’y aura pas de suite à cet événement, l’UCI décide de se saisir de la pratique féminine. Le premier championnat du monde féminin est organisé en 1958 dans un contexte médiatique méfiant à l’égard des femmes. En 1957, on avait reporté l’organisation des premiers championnats du monde féminin ce qui avait suscité le commentaire piquant du journal l’Equipe “Le bon sens a triomphé (…) Elles devront se contenter des épreuves existantes et du cyclotourisme, ce qui correspond beaucoup plus à leurs possibilités musculaires”. (cité par José Alain Fralon – Les secrets du Tour de France Ed. La Librairie Vuibert)
1984, un Tour de France femmes en lever de rideau
Il faudra attendre 1984, pour que Félix Lévitan, le directeur de la société du Tour de France, remette cette idée de Tour de France féminin au goût du jour. Ce retour n’est pas le fruit du hasard. Des éléments de contexte l’expliquent : la perte de vitesse du Tour auprès du public, une nouvelle direction dans l’organigramme du Tour, l’émergence de championnes, la création d’une course femmes aux JO de 1984, une prise de conscience politique de la condition féminine. [Lire cet article “Le Tour de France Féminin de 1984 : Marianne Martin”]
Organisé jusqu’en 1989, le Tour voit se dérouler les duels épiques entre Jeannie Longo et Maria Canins. Ce peloton féminin a parcouru 18 étapes, passé la même ligne d’arrivée, reçu les encouragements des spectateurs, coincé entre le montage sur la ligne d’arrivée du podium et la caravane publicitaire.
Progressivement, la course s’est éteinte, prise en étau entre des considérations logistiques et économiques.
Il est vrai que le Tour de France est devenu, dans le même temps, une gigantesque machine économique parfaitement rodée. Elle ne laisse plus aucune place à l’improvisation.
Le difficile remplacement du Tour de France Femmes
Le Tour de la CEE féminin prend un relais éphémère de 1990 à 1993 sans laisser de grandes traces dans l’histoire du cyclisme féminin.
D’autres organisateurs tentent de prendre le relais : le Tour Cycliste Féminin, la Grande Boucle féminine internationale, la Route de France… Des épreuves qui révèlent autant la précarité du peloton féminin que celle des organisateurs.
Depuis 2014, le peloton féminin est entré dans le Tour de France par une porte détournée : la course by Le Tour de France. En 2019, Christian Prudhomme, le directeur du Tour de France, lors d’une interview sur la radio Europe 1, pointait les difficultés à organiser une course dans le cadre du Tour de France.
Finalement, en 2022, le peloton féminin aura son Tour de France. Pas un Tour de France lever de rideau de celui des hommes mais une course bien à elles, où le spectacle et le spectaculaire vont se côtoyer durant 8 étapes fidèles à l’esprit du Tour de France.
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